vendredi 24 janvier 2014

Où nous verrons que Barack Obama est un prince comme les autres

Le choix d'Obama
(adapté du blogue Why Nations Fail (21 janvier 2014) par Daron Acemoglu et James Robinson).

«Je reste convaincu que les peuples sont sujets à moins d'erreurs que les princes, et qu'on doit se fier à eux bien plus sûrement qu'à ces derniers.» (Machiavel)

Le président Obama a prononcé récemment un important discours au sujet du gigantesque programme de collecte de métadonnées de la National Security Agency (NSA).

Fidèle à son habitude, Obama a parlé avec éloquence et mesure; il s’est dit pleinement conscient des préoccupations entourant les libertés civiles et de la nécessité de mener des vérifications sur le travail de la NSA.

En réalité, toutefois, Obama semble avoir fait le choix de n’imposer aucune limite à la NSA quant à la collecte des métadonnées et l’accès à celles-ci.  

Des vérifications seront faites et les métadonnées continueront vraisemblablement de résider sur les serveurs des sociétés privées de téléphone et d’Internet, mais il semble exclu d’empêcher la NSA d’accéder à ces données ou de restreindre sa capacité de recueillir l’information.

Obama est même allé encore plus loin en exprimant son soutien inconditionnel à la NSA et aux services de renseignement. Il n’a rien appris, a-t-il dit, qui puisse donner à penser que le renseignement ait sciemment enfreint la loi ou se soit comporté de façon cavalière à l’égard des libertés civiles.

Cette déclaration suscite une certaine incrédulité, quand on sait que la NSA et les services de renseignement ont clairement agi de façon cavalière en matière de libertés civiles, ont tenté de brouiller les pistes et ont menti à répétition.

Ainsi, avant les révélations faites par Edward Snowden, le directeur de la NSA, le général Keith Alexander, a déclaré que les informations selon lesquelles la NSA détenait des données sur des millions ou des centaines de millions de personnes étaient complètement fausses.  

Devant un comité du Sénat, le directeur du renseignement national, dont le rôle consiste à superviser les activités de la NSA, de la CIA et de la myriade d’organismes américains du renseignement, a démenti catégoriquement que la NSA recueillait des données, de quelque nature que ce soit, sur des millions d’Américains.

Quoi qu'il en soit, la déclaration du président Obama n’est guère surprenante quand on la juge à l’aune des antécédents de son administration en matière de libertés civiques.

Elle est cependant extrêmement étonnante pour quiconque a suivi l’ascension météorique d’Obama jusqu’à la présidence.

Au début des années 2000, Obama se posait en ardent défenseur des libertés civiles. En 2003, alors candidat à un poste de sénateur, il dénonçait avec virulence le Patriot Act, le qualifiant d’odieux et de dangereux.

Le tournant dans la carrière d’Obama a été le discours émouvant qu’il a prononcé lors de la Convention démocrate en 2004. Il s’est alors attaqué dans les termes les plus vifs au Patriot Act, en particulier à l’article 215 sur l’accès aux dossiers personnels. Paradoxalement, cet article allait devenir plus tard la principale justification de la gigantesque opération de collecte de données menée par la NSA sur des citoyens américains et étrangers.

Une fois élu sénateur, il a été coparrain du projet de loi intitulé Security and Freedom Enhancement Act, qui devait limiter la portée de l’article 215 du Patriot Act, voire l'enterrer. Dans un autre de ses discours brillants, il a clairement manifesté son opposition à cette loi en affirmant devant les autres sénateurs qu’elle portait gravement atteinte aux droits des Américains et aux idéaux qu’ils chérissent.

Puis, tout a changé quand Obama est devenu président; il a soudainement oublié ses doutes et ses préoccupations au sujet du Patriot Act et des libertés civiles et a abandonné tout scrupule pour soutenir l’ensemble des programmes de renseignement. 

Que s’est-il donc passé?

Il a y trois réponses possibles et se pencher sur chacune d’elle peut nous aider à déterminer si nous pouvons nous fier sur l’État et sur les responsables politiques pour protéger nos libertés civiles.

La première réponse est qu’après s’être installé à la Maison-Blanche, Obama a eu accès à des informations qui lui étaient inconnues pendant qu’il était sénateur et qui l’ont convaincu de ne pas s’inquiéter au sujet des libertés civiles et de laisser carte blanche aux services de renseignement.  

La deuxième est que les scrupules d’Obama s’appliquaient aux autres dirigeants. Une fois au pouvoir, il est devenu beaucoup plus conciliant à l’égard des infractions aux libertés civiles. Autrement dit, Obama est devenu un rouage de l’État et le contrôle de l’information et du pouvoir est inscrit dans les gènes de l’État.

Troisième réponse, enfin, Obama n’a pas totalement mis au rancart ses inquiétudes et ses doutes, mais a d’abord pensé à sa carrière : tous les fonctionnaires ou responsables politiques craignent de faire des choix qui entraînent des résultats désastreux, surtout si ces choix les rendent responsables d’un échec aux yeux du public. Toutefois, l’incapacité à agir pour prévenir un échec est jugée tout aussi sévèrement. Il en découle une tendance naturelle à adopter des mesures préventives énergiques. Vu l’impact que pourrait avoir une attaque terroriste majeure contre des Américains sur l’héritage politique d’un président, la tentation est très forte de soutenir les activités secrètes de la NSA ou de la CIA qui visent en principe les terroristes, mais qui dans les faits briment les libertés civiles et accroissent le pouvoir de l’État sur ses citoyens.

Nous jugeons la première réponse peu convaincante; l’explication la plus probable se situe probablement entre la deuxième et la troisième.

Mais peu importe la réponse, une conclusion plutôt cynique peut être tirée de cet exercice. Dès qu’il accède à un poste de pouvoir suprême, tout individu, aussi honnête et modéré soit-il, est susceptible de se comporter exactement comme n’importe quel autre puissant dirigeant et d’appuyer la mainmise de l’État sans se préoccuper des libertés civiles.

Si cela est vrai, nous serions bien naïfs de nous attendre à ce que l’État puisse s’autocontrôler.

Un État dont les pouvoirs sont encadrés agit de façon responsable envers les citoyens et la société civile et respecte les libertés civiles. Mais il ne le fait pas de son propre gré; il le fait parce que la société l’y oblige.

Dans ce cas, Obama ne lui pardonnera pas et ne le remerciera pas, mais nous devrions peut-être tous remercier Edward Snowden.

Si vous vous êtes rendu jusqu'à la fin de ce billet et je vous dis bravo.

Maintenant deux suggestions :

La première, une lecture à éviter : Le rêve de Machiavel, de Christophe Bataille.
Roman dans lequel Machiavel fuit la peste et la terreur. À mon avis, c'est ce roman qu'il fuit. Une phrase glanée au hasard : « Il récite de longs poèmes sans plus savoir si les mages ont parlé, ou les philosophes, ou les alchimistes, ou les chèvres ou les ânes... » Hi-han!
A-t-on envie de lire un roman qui commence comme ceci : « Il n'y a pas de Renaissance, il n'y a pas de temps anciens mais il y a dit-on des images secrètes.»? Je ne suis guère allé plus loin.

La deuxième, à voir, si vous passez par Florence d'ici la fin février, l'exposition La via al Principe à la Bibliothèque nationale de Florence qui souligne le 500e anniversaire de la publication du Prince. Manuscrits, enluminures, textes explicatifs. On en apprend beaucoup sur le parcours politique et littéraire de Machiavel, sur les bouleversements politiques qui ont secoué Florence et sur l'extraordinaire progression des arts et de la connaissance à la Renaissance.
(  http://www.iviagginellastoria.it/fr/rubriche-2/mostre-ed-eventi/8832-la-via-al-principe-niccol%C3%B2-machiavelli-da-firenze-a-san-casciano.html)

lundi 13 janvier 2014

Florence et l'intelligence

Deux autres visites à Florence, une ville, me suis-je dit, qui rend plus intelligent tellement elle est riche d'art et d'histoire. Son maire, Matteo Renzi, qui vient d'être élu secrétaire national du Parti démocrate, présentement au pouvoir, incarne cette intelligence avec une assurance qui confine, de l'avis de certains, à l'arrogance. Nos amis d'Arezzo trouvent les Florentins arrogants et dominateurs. L'histoire des deux villes est étroitement liée depuis une dizaine de siècles et, à la fin, c'est toujours Florence qui gagne.

Que dire sur Florence qui n'a pas déjà été dit? Inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, elle compte 70 musées et 6 000 monuments historiques, de quoi attraper le tournis (ou le syndrome de Stendhal). À chaque fois, nous découvrons de nouvelles merveilles. Cette fois-ci, la chapelle des mages au Palais Medici-Riccardi (http://fr.wikipedia.org/wiki/Chapelle_des_Mages) :

 
 
L'église de San Miniato, qui surplombe la ville :
 
 
Et Florence, la nuit :
 
 
 


jeudi 9 janvier 2014

Une affaire de climat?

Pendant qu'au Québec, la température s'est amusée à se promener d'un extrême à l'autre, elle a été en Toscane d'une exemplaire régularité. Bien sûr, tout ne peut se résumer au climat, mais des conditions climatiques aussi généralement favorables ont certainement une influence bénéfique sur le tempérament et la qualité de vie. Plus j'y pense et plus j'estime que la Toscane n'a pas tant de mérite, elle est tout simplement très très avantagée par la nature; le reste suit alors plus facilement.
Le brouillard a été omniprésent toute la semaine dernière. À un certain moment, j'ai roulé une bonne trentaine de kilomètres dans la poisse, sans rien voir du paysage, les lentilles de mes lunettes constamment embuées, les mains engourdies, sans trop savoir où j'allais. Puis, j'ai rejoint Castiglion Fiorentino et la Foce (une de mes montées préférées) quand tout à coup :

 
La mer de brouillard dans laquelle je ramais s'est dissipée et a laissé place à un soleil resplendissant. L'hiver, tel que nous l'avons vu, n'a donc rien des rigueurs du nôtre. Il s'apparente plus à un état de dormance.
 

La vigne est prête à être taillée. Les olives ont été récoltées en novembre et décembre et, partout, on trouve de l'huile d'olive nouvelle (« olio nuovo »). On nous en a d'ailleurs abondamment offert, au point où nous sommes revenus avec près de quatre litres dans nos bagages. Il aurait suffi qu'une seule des bouteilles éclate ou fuit pour provoquer une catastrophe, mais un emballage méticuleux effectué par Nathalie a permis de l'éviter.

La vigne, l'olivier et le cyprès, les trois éléments indissociables du paysage toscan. Au loin, Arezzo et la mer de brouillard. 

 
Pienza, Montepulciano, l'abbaye Monte Oliveto Magiore, San Quirico, le Chianti (qui porte parfois le vocable ironique de Chiantishire en raison de la présence de plus en plus grande des Britanniques), d'autres lieux à emmagasiner dans notre boîte à souvenirs italienne. 
 
 

 
 


dimanche 5 janvier 2014

L'Italie sans dessus dessous (mais surtout sans dessous) (7)

La soirée du 31 décembre a été fort agréable et nous avons eu droit à un repas traditionnel en plusieurs parties aussi bonnes les unes que les autres (avec mention spéciale aux pâtes avec pesto de pistaches et pancetta). Un peu avant minuit, nous avons regardé le décompte de la fin d'année à la télé, puis avons fait nos voeux et débouché le mousseux. Rien de trop dépaysant, si ce n'est que pendant ce temps, à la télé, le spectacle se poursuivait, quelque part dans le val d'Aoste, avec force chansons américaines et, surtout, force jeunes filles chichement vêtues. Un spectacle en apparence inoffensif, mais qui serait impensable chez nous. Côté utilisation du corps de la femme, le Québec et l'Italie sont en effet très loin. Le contraste est également frappant dans la rue où on aperçoit un grand nombre de femmes, jeunes et moins jeunes, perchées sur des talons aiguilles vertigineux. On les voit tentant d'échapper aux sournoises dénivellations des dalles, comme si chaque pas était un défi à la loi de la gravité.
Il y a un paradoxe italien : comment un peuple qui a donné au monde tant de richesses artistiques et tant de savoir et qui représente peut-être ce que la civilisation a fait de mieux peut-il tolérer qu'une partie de sa population féminine se déguise en prostituées de luxe? Comment peut-il tolérer une télévision aussi abrutissante où se côtoient femmes à demi nues et faux débiles mentaux, des leaders politiques aussi médiocres et corrompus, autant d'agressions à la beauté du paysage?
L'Italie est peut-être tout simplement fatiguée. Fatiguée de tant d'art, de tant d'histoire, de tant de culture. Sans compter qu'elle a eu sa part de catastrophes naturelles, de guerres sanglantes et d'horreurs criminelles et terroristes. Elle a peut-être tout simplement envie d'aller s'étendre sur la plage et qu'on lui fiche la paix. Les Italiens sont finalement assez déroutants; qui pense bien les connaître se fourvoie très certainement. L'Italien enflammé, rieur, bon vivant, accueillant, en cache un autre, plutôt désabusé et assez fataliste.
Néanmoins, s'il y a quelque chose qu'il faut retenir d'un séjour en Italie pendant la période des fêtes, c'est bien l'attachement à la tradition, tradition religieuse, symbolique, culinaire, artistique. Malgré ce qui précède, on a l'impression que rien ne peut amener les Italiens à en déroger. Crise ou pas, les rues sont bondées et les commerçants semblent faire des affaires d'or, du moins à Arezzo.
Dernière tradition en lice (avant le retour au calme en janvier et février), la Beffana (dont le nom provient de la déformation du mot Epifania), sorcière qui distribue gâteries aux enfants sages et qui supplante même le père Noel en certains lieux. Ni talons aiguille, ni manteaux de (simili) fourrure (à +12 degrés) dans son cas, mais un bon vieux balai.